Connaissez-vous le Grinch ? Ce petit personnage verdâtre et acariâtre qui décide de ruiner l’esprit de Noël en réponse au manque de considération de la part des villageois. Pour cela, il met en place un plan simple : se déguiser en Père Noël et voler tous les cadeaux. Mais l’esprit des fêtes lui fait vite regretter son geste. “Le Grinch est un amateur. Il est trop sentimental pour rentrer au WEC.” se dit le Faussaire.
Notre expert préfère l’histoire des frères F. Et pour cause, il a vu en eux des collègues émérites dans l’exploitation des failles humaines, juridiques et informatiques. Leur objectif était simple. Devenir les rois d’Internet en se faisant passer pour le Père Noël. Leur plan était aussi génial que complexe. En effet, se rendre indispensable et rafler la mise tout en gardant une apparence honnête, il faut être habile. Et ils l’étaient.
À la fin du XXème siècle, Internet est un territoire encore méconnu. Et sa réputation est encore à faire. Nos deux frères parient sur la vente en ligne. D’autres sociétés s’y lancent, il ne faut pas attendre. Ils lancent donc un site de commerce où tout peut être acheté (informatique, électroménager, …) et les frais de ports sont offerts. Pour économiser, leur entreprise n’aura pas de boutique. Tout passera par Internet.
Ils étaient parmi les premiers pure players, des entreprises dont l’activité est basée uniquement sur Internet. C’était la start-up nation avant l’heure. Les talents logistiques de l’un des frères permettait de relier les acheteurs et les fabricants. Ils se plaçaient en intermédiaire pour gérer la logistique et récupérer leur commission. Tout le monde devait y être gagnant. Afin de se faire connaître, ils avaient acheté le nom de domaine ‘pere-noel.fr et s’étaient lancé en novembre 1999.
L’un des deux frères, Alexandre, est polytechnicien. Il est passé par le célèbre cabinet d’audit Arthur Andersen et maîtrise les relations commerciales et logistiques. L’autre frère, Gregoire, a un DESS de finance. Entouré d’autres jeunes partenaires, ils allaient réinventer le commerce. L’entreprise acquit une rapide notoriété. Commandes non honorées, fournisseurs non payés, … leur réputation se dégrade vite. Des journalistes du ‘Virus Informatique’ s’intéressent alors au phénomène et …
Les frères F. ne sont pas des tendres. L’histoire est tellement dense qu’il est difficile de s’imaginer tant de mauvaises pratiques en moins de 3 ans. Et je ne vous propose ici qu’un résumé bien incomplet.
Le site vendait tout et n’importe quoi. Il était connu pour la vente d’équipement informatique, mais on pouvait aussi acheter bien d’autres choses. Les caractéristiques des équipements vendus étaient exagérées ou trompeuses. L’acheteur ne s’en rendait compte qu’à réception du colis. Si la livraison était gratuite, le retour n’était pas prévu.
Les frères F. sont aussi des experts en cybersquatting. À l’époque la pratique n’était pas illégale. Pour couler leurs concurrents, s’ils le pouvaient, les frères F. rachetaient leurs noms de domaines et supprimaient leurs visibilités. Ils achetaient aussi des noms de domaines variés comme appartement.fr, jackpot.fr, fisc.fr, impots.fr, … Voulaient-ils négocier avec le Trésor public ?
Le fiscaliste avait installé la société dans le Dakota du Sud, un paradis fiscal. Par des montages financiers, ils aspiraient ainsi les maigres dividendes de la jeune entreprise. Les créanciers (clients, fournisseurs, prestataires) pouvaient réclamer leur dû, l’argent n’était plus dans la société.
Pour gagner du temps face à leurs créanciers, ils localisèrent leur société à Lyon alors que les bureaux étaient à Saint-Etienne et l’entrepôt dans la région parisienne. L’adresse renvoyait à une boîte à lettre qui n’était jamais relevée.
Pour rester dans les adresses, Alexandre gérait d’autres sites plus ‘coquins’. Il se servait donc du carnet d’adresses de ‘pere-noel.fr’ pour prospecter. Vous achetiez un ordinateur et vous vous retrouviez abonnés à la liste de diffusion de ‘rueduplaisir.com’. Sympa pour les prochaines commandes.
Lorsque l’affaire devint ingérable, ils réussirent à tout mettre sur le dos d’un jeune homme trop optimiste (naïf), Thomas C, et essayèrent de disparaître. La justice n’était pas dupe et chercha au-delà de l’homme de paille. Alexandre partit se cacher aux Etats-Unis. Mais la cavale ne dura pas.
Une vie intense, des affaires rocambolesques, des manipulations de grandes ampleurs, le Faussaire voit en Alexandre un partenaire idéal. Mais ce dernier ne fait plus parler de lui, comme le Faussaire d’ailleurs.