La question se pose dans le domaine informatique. L’objectif initial est d’automatiser l’information, donc d’apporter la bonne information, à la bonne personne, au bon moment. Mais je regarde les usages actuels, je me demande à quel moment le plantage a eu lieu. Les usages de l’informatique ne doivent pas être forcément sérieux. Le jeu est un vecteur d’apprentissage essentiel. Mais, les principaux usages de l’informatique ne sont pas uniquement à vocation ludique ou de transmission de l’information.
Le problème est le même que pour la télévision. Apporter des références communes pour les gens. Si on excepte la barrière de la langue, l’informatique (surtout l’avatar Internet) nous permet de partager nos particularités, nos coutumes. Mais des sociétés privées ont compris comment détourner l’usage pour transformer ces outils en moyen de vendre du ‘temps de cerveau disponible’.
Vous ne me croyez pas. Aujourd’hui, il est facile de récupérer une information. Mais entre le moment où nous nous posons la question et le moment où nous avons en main notre smartphone, nous avons oublié notre question et nous regardons d’autres choses. Facebook est le spécialiste de cela, sous prétexte d’agréger notre vie, il cumule sur une page une quantité fabuleuse d’information annexes. Impossible de rester concentré sur notre idée initiale.
Est-ce que ce monde est sérieux ? Dans le développement de logiciels, je ne pense pas non plus. La force de l’informatique est de ne pas refaire ce que l’on a déjà fait. Pourtant c’est ce que l’on fait systématiquement pour différentes raisons. Dans ‘Jurassic Code’, j’évoquais les erreurs de code que je considère les plus énervantes. Je n’ai pas cité l’oubli de factorisation. Et pourtant c’est trop fréquent. La roue est réinventée constamment.
Combien de clones de Facebook se sont créés ? Vous pensez que c’est pour combattre l’hégémonie américaine ou pour se faire de l’expérience dans un domaine particulier. Souvent, il n’en est rien. La plupart des développeurs rêvent que l’innovation qu’ils apportent dans leur clone suffira à convaincre une société puissante de racheter leur travail. Les alternatives ‘libres’ sont rares et peu visibles.
J’ai déjà parlé des bitcoins : une énergie folle dépensée pour de la spéculation. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer mais lorsque j’entends les journalistes parler de cryptomonnaie, je me demande ce qu’est devenu ce métier. Le bitcoin n’a jamais été une cryptomonnaie. En grec, ‘kruptós’ signifie caché. Le bitcoin repose sur un journal (blockchain) accessible à tous. Donc tout sauf caché. La plupart des pays n’ont pas considéré le bitcoin comme une monnaie mais comme un bien.
À l’heure où Facebook et d’autres grandes sociétés lancent leur monnaie virtuelle, le Libra, les sites d’informations vont-ils réussir à rapporter l’information correctement ? La Chine aussi met en place sa propre monnaie dématérialisée. Le bitcoin n’était qu’un POC (Proof of Concept : un prototype). Mesdames, Messieurs les journalistes, renseignez-vous avant d’écrire vos articles.
Le côté immatériel de l’informatique donne l’impression que le coût est nul. Il n’en est rien. Pourtant, en regardant l’usage, on se rend compte que le coût est important. Entre le coût de construction et le coût d’usage des serveurs qui nous répondent à chaque instant, le coût des terminaux pour consommer les informations, … Si au moins cela nous apportait vraiment quelque chose. Mais les vidéos pornos, les vidéos ‘débiles’ (jackass, défis stupides, vandalisme, …) et autres photos honteuses sont devenues l’usage principal d’Internet. Idiocracy est devenu un documentaire.
Certes les réseaux sont de plus en plus performants, les serveurs de plus en plus efficaces et consomment toujours moins d’énergie pour le même service, mais les gens consomment toujours plus. Si on oublie le contenu, quel intérêt de regarder un flux 4K sur un écran de smartphones ? Derrière se cache toujours le marketing. On peut le faire parce qu’on a le dernier téléphone à la mode avec le meilleur forfait 4G (bientôt 5G).
L’informatique, préservé dans un premier temps parce que considéré comme un marché peu intéressant par les grands industriels, est devenu un nouvel Eldorado au début des années 2000. L’objectif est de vendre pour un usage ‘fantasmé’. Comme le dit Jean-Jacques Goldman dans la chanson ‘les choses’ : “C’est plus ‘je pense’ mais ‘j’ai’ donc je suis”.
L’informatique est encore un domaine récent. Il est normal de commettre des erreurs, au début. C’est d’ailleurs une forme d’apprentissage. Mais comme le dit l’adage “errare humanum est, perseverare diabolicum” (“l’erreur est humaine, persévérer est diabolique”). Et c’est à nous autres, créateurs, consommateurs, de le faire progresser pour le bien de tous. Encore faut-il avoir conscience de notre influence dans ce processus.