Des préfabriqués blancs étaient installés dans la cour de l’école municipale. Un escalier en béton permettaient d’accéder à une première salle. Des murs blancs, un tableau blanc à gauche en entrant et deux tables où s’alignaient tête-bêche sur chacune 6 écrans en dessous desquels reposaient un étrange clavier.
“L’avenir !” nous expliqua sobrement l’enseignant taciturne qui revenait de sa pause cigarette. Sur une troisième table au fond de la pièce reposaient encore trois écrans, leurs claviers et une machine plus imposante au format compatible IBM PC et deux lecteurs de disquettes 5 pouces ¼.
L’enseignant nous fit nous asseoir, deux élèves par machine. Il se tint alors devant le tableau blanc. C’était la première fois que j’en voyais un. Cela changeait des panneaux d’ardoises et des craies qui pouvaient crisser. Mais revenons à la leçon. Le maître inscrivit au feutre le nom de nos machines : MO5.
Tel était le nom de la machine. Il ne s’agissait pas d’un simple clavier. Derrière se cachait un véritable ordinateur. Un processeur Motorola 6809, 48 Ko de mémoire vive (RAM), 16 Ko de mémoire non réinscriptible pour le système d’exploitation et l’interpréteur Basic, de chez Microsoft.
Enfin, nous remarquions surtout des touches caoutchouteuses qui se révélaient difficiles à enfoncer. Deux câbles sortaient à l’arrière. L’un branché sur l’écran, l’autre caché dans les goulottes pour alimenter électriquement la machine. À gauche, un crayon en métal était relié au clavier par un câble enroulé.
“Le crayon optique” reprit l’enseignant. Il s’agissait d’un système de pointage qui permettait suivant les programmes de déplacer un curseur dans la bonne zone, de sélectionner un objet ou de réaliser des dessins. Le stylet tactile avant l’heure, sans la réactivité, ni la facilité d’usage.
Appuyant sur un interrupteur général, le maître mit en route les 15 machines et leurs écrans. Il s’approcha de la machine imposante qu’il avait précédemment désignée comme la tête de pont, et entra une série de commandes. Puis revenant au tableau, il inscrivit une commande que nous devions saisir sur le clavier : LOAD LOGO.
Mon camarade qui avait un ordinateur à la maison, et s’y connaissait donc en informatique, tapa la commande malgré les touches lourdes du clavier. Celle-ci permettait de récupérer sur le serveur un programme nommé LOGO et de le stocker sur la RAM du MO5. Le maître inscrivit une deuxième commande que nous tapions : RUN.
L’écran devint noir et un curseur vert clignota. L’enseignant revint à son tableau pour nous donner quelques explications. Le Logo était un langage de programmation dont la syntaxe est proche du français. Il permettait de déplacer une tortue sur un écran et ainsi dessiner des motifs. La première commande, AVANCE 10, fit apparaître un écran bleu et un trait.
Le curseur et le texte vert saisi se déplaça sous le cadre azur. Les commandes que nous entrions difficilement, faisait avancer et bouger la tortue sur l’écran. Les notions propres à l’algorithmie n’étaient pas encore abordées. Mais c’était déjà beaucoup pour des enfants. L’enseignant nous accorda une pause ‘jeu’.
Mon camarade appuya sur le bouton ‘reset’ et, après avoir regardé la liste des logiciels disponibles sur l’écran de la tête de pont, il tapa les commandes LOAD MAZE et RUN. Un jeu de labyrinthe très sommaire apparut. Devant les enfants absorbés par l’écran, le maître sortit fumer une cigarette.
Les autres cours se déroulèrent suivant le même rituel. Des informations basiques sur des mécanismes informatiques. Le maître semblaient découvrir en même temps que nous le domaine. Nous étions en 1989, le plan IPT, “Informatique Pour Tous”, existait depuis 4 ans et nos ordinateurs étaient dépassés depuis aussi longtemps.
L’idée de base était bonne. Préparer les français à l’arrivée de la technologie. Une conception simple permettait aux enfants de comprendre les principaux mécanismes des ordinateurs, de la programmation et des réseaux. Ces derniers apporteraient la bonne parole au sein des foyers en demandant un ordinateur pour Noël.
L’exécution était mauvaise. Nous aurions pu avoir des Apple II. Mais pour sauver l’entreprise française Thomson, le gouvernement se passa d’appel d’offres. Les enseignants découvraient l’informatique en même temps que les élèves. 6 jours de formation pour s’y préparer, c’est peu.
Les quelques élèves qui avaient un ordinateur à la maison avaient conscience du retard technologique. À défaut d’apprentissage solide, nous voyions l’ordinateur comme une machine de jeu. Déjà à l’époque, les écrans absorbaient l’énergie des enfants.
Le vrai problème était politique. Les promoteurs de l’époque s’étaient détournés du sujet. Qu’IPT réussisse ou qu’il échoue, l’important était leur présence médiatique durant les mois de mise en place du projet. Ensuite, les opportunistes étaient partis sur d’autres sujets, abandonnant un matériel obsolète aux élèves et aux enseignants.