L’industriel

Je suis développeur informatique. Je crée des programmes qui correspondent au besoin de mes clients. D’après mes responsables, mes standards sont artisanaux. N’y voyait pas là un compliment de leur part. Ils considèrent que mes capacités de planification sont inférieures à leur vision du système d’information de l’entreprise. 

Ma vision est celle d’un artisan qui a bien conscience qu’il travaille sur des éléments d’un système plus complexe. De mes études et de mes remises en question permanentes sur la technologie et son évolution, je sais prendre du recul et voir les erreurs dans les process et les standards imposés par mes responsables. 

Ils considèrent l’artisanat comme une faiblesse. Impossible de traiter des problèmes complexes avec de telles méthodes. Vive la démarche industrielle. C’est bien connu, nous écrivons des programmes comme des chaînes de montages assemblent des Thermomix. Je vais éviter le sarcasme mais …

Lors de mes études, l’un de mes enseignants, amateur du PDCA, nous a expliqué une démarche simple et évidente à mettre en œuvre pour les projets les plus complexes. Si un système est trop complexe, découpe-le en sous-systèmes plus simples. Si ces derniers sont encore trop complexes, continue le découpage. 

Il arrive un moment où les actions à réaliser seront réalisables même par le plus basique des artisans. Ce travail de découpage est celui de l’architecte et de ses collègues qui aident à définir l’ensemble des composants à créer pour répondre au besoin initial. Mes responsables sont incapables de comprendre cela. 

Pour information PDCA signifie Plan, Do, Check et Act. Planifie, réalise, contrôle et corrige si nécessaire. Soit les actions à mener pour s’assurer de la qualité de chaque subdivision d’un projet. Par extension, cela assure la réussite du projet.

S’il n’y avait que cela que le petit artisan que je suis pouvait enseigner à mes responsables. Mais je les vois commettre tant d’autres erreurs industrielles basiques. La gestion des fournisseurs est désastreuse. La défaillance de l’un d’eux et les délais des projets s’envolent. Pourtant les normes industrielles sont simples. 

Pour un même service ou bien externe, il faut s’assurer d’avoir 3 fournisseurs distincts. 2 gros pour faire jouer la concurrence et tirer les prix vers le bas. Ils récupèrent la majorité des contrats. Un troisième plus petit mais local que l’on peut absorber en cas de défaillance des 2 premiers pour s’assurer de la continuité des livraisons. 

Non, mes responsables se retrouvent souvent bloqués dans des choix technologiques imposés par un fournisseur. Et une fois le doigt passé dans l’engrenage, en sortir demande un effort énorme. Et comme ils n’apprennent jamais, lors du projet suivant, ils recommencent la même erreur. 

Une deuxième règle industrielle est l’amélioration continue. Une fois un produit mis à disposition des utilisateurs, il est possible de l’améliorer pour qu’il corresponde toujours mieux à l’usage final. On le fait dans l’industrie automobile. En informatique, c’est encore plus simple. 

Une discussion avec les utilisateurs (un feedback en novlangue) permet de savoir quelles interfaces, quels services améliorer. Un échange avec les équipes de production permet de simplifier la maintenance des outils. Après validation des architectes, on repasse par un PDCA pour le bonheur de tous. 

Non, mes responsables préfèrent que je passe du temps à accompagner l’utilisateur pour contourner un besoin non identifié et à aider l’équipe de production pour une erreur liée à un mécanisme architectural non maîtrisé. Pourquoi perdre 1 jour à régler la cause d’un problème si on peut perdre 100 jours à traiter ses conséquences ?

Je pourrais continuer la liste des connaissances apportées par la démarche industrielle que mes responsables semblent ignorer : déterminer le coût réel des biens et des services, savoir quand persister ou non face à une situation non favorable au projet, maîtriser les technologies au lieu de suivre la mode, …

Mais je ne suis qu’un simple artisan qui entend ses responsables se plaindre ad nauseam des mêmes problèmes. Ils ne m’écoutent jamais. C’est à se demander si la réussite des projets qu’ils mènent est dans leur intérêt.

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