Si on m’avait dit un jour qu’un problème mathématique vaudrait aussi cher, foi de canard, je n’y aurais pas cru. Il faut être un Géo pour s’intéresser à une telle énigme. Si vous pensez que j’ai bâti ma fortune en spéculant sur les monnaies, c’est que vous ne comprenez pas comment marche l’économie. Alors ne me parlez pas de Bitcoin, je vais le faire à votre place.
Mais avant tout, demandez vous ce qu’est une monnaie. À l’origine, si vous vouliez des biens et des services de la part d’autres personnes, il fallait les convaincre, parfois à coup de massue. Cela laissait des contentieux entre les différents partenaires de l’échange. Entre gens civilisés, on préférait pratiquer l’échange, le troc. Je veux manger du poisson, je t’échange ma lance.
Le problème du troc est que l’échange est limité. Et puis, certains éléments sont plus désirés que d’autres. Les métaux sont appréciés. Surtout l’or. La monnaie physique est créée à partir de là. On n’échange plus son poisson contre une lance, mais on échange son poisson contre des pièces en métal et on achète une lance avec ces pièces en métal. Et tout le monde accorde la même valeur à ces pièces.
Je passe les détails, mais le métal, c’est lourd donc difficile à transporter. Avec l’invention du papier, les biens précieux sont conservés par un tiers dans son coffre (une banque) et il est possible de payer avec un titre de créance, l’ancêtre de nos billets de banques. Je vous passe, les détails, cela fait l’études de nombreux économistes. Mais l’argent de mon coffre, c’est un titre de dette que les autres me doivent. Ce qui fait de moi, contrairement à ce que l’on peut dire, le canard le plus généreux du monde.
Le Bitcoin est utilisé comme une monnaie. Il repose donc sur la confiance. Lorsqu’on entendant cryptomonnaie, on pense à des échanges cachés. Ici, il n’en est rien. Tout le monde peut accéder à la liste des transactions effectuées en Bitcoin. Ce qui est caché, en fait protégé, c’est la validation de la transaction, le mécanisme qui assure que votre échange est valable.
Mais comment pensez-vous qu’on fabrique les Bitcoins ? Ils parlent de minage. Mais ici, ce n’est pas la force musculaire qui permet de miner, mais des processeurs informatiques. À mon époque, on utilisait une pioche pour récupérer l’or des mines du Klondike. Pour miner des Bitcoins, ils font tourner des logiciels à longueur de journée. Cela représente la consommation du Chili, 17,5 millions d’habitants. C’est une catastrophe écologique pour valider quelques transactions.
Le Bitcoin est miné. Le résultat de ce minage est une petite part d’un problème mathématique. Un fichier d’octets stocké sur l’ordinateur du mineur. C’est ce fichier ou une partie de ce fichier qui est échangé pour payer un vendeur. La transaction est enregistrée dans une Blockchain, un registre en principe infalsifiable et maintenu par le minage qui crée aussi une preuve de travail. Personne ne sait qui a quelle partie du puzzle. Mais cette partie peut être utilisée pour toute transaction. Le seul problème est que plus le temps passe, plus la preuve de travail est compliquée et nécessite de minage. Le filon est tarit.
Si je résume, les transactions en Bitcoins sont validées de plus en plus lentement à cause du coût de la preuve de travail. Si on veut que cela soit fait rapidement, il faut payer. On est loin de la gratuité promise à l’époque. Le côté cryptique n’existe pas vraiment puisque tout est inscrit sur un registre. Si on perd son disque dur qui stocke nos Bitcoins, on ne peut plus payer. Le Bitcoin n’est pas reconnu comme une monnaie par la plupart des pays mais éventuellement comme un bien échangé. La confiance a été transformée en spéculation. Et on détruit la planète.
La promesse d’une nouvelle monnaie, basée sur la confiance mutuelle et décentralisée, donc à l’écart des manipulations des planches à billets, est très loin. Comme toutes les utopies, elle n’a pas résisté longtemps à la réalité. Elle aurait eu un avenir serein si elle était restée une monnaie d’échange pour universitaire. Mais elle n’était pas adaptée au reste du monde. Éventuellement pour des usages locaux.
Alors lorsqu’en décembre 2017, je vois une publicité avec Nabila vanter les sites de spéculation sur le Bitcoin, j’ai compris que la fête était fini. Lorsque les publicitaires utilisent des arguments mammaires pour promouvoir quelque chose, c’est que la coquille est bien vide. Le Bitcoin s’échangeait à l’époque à presque 20 000 $. La chute s’annonçait rude et, bandits et escrocs ne se cachaient plus pour voler les mineurs et autres propriétaires de Bitcoins.
D’autant plus qu’un autre génie de l’agitation en rajoutait. John McAfee. Le créateur du fameux antivirus. Depuis qu’il était presque devenu milliardaire, il se pensait omniscient. Il prédit qu’en 2020, le Bitcoin vaudrait 1 000 000 de dollars. Rien que çà. Les intuitions d’un presque milliardaires sont rarement fiables. Ils pensent que parce qu’ils ont réussi une fois, il faut les croire sur paroles lors de leurs prochains projets. Ce n’est pas la chance qui fait un milliardaire, mais le travail et la régularité.
Alors, je ne regrette pas de ne pas avoir pris part à cette mascarade. Mon coffre de pièce me convient très bien. Lui est bien réel. Et même si j’ai commis des erreurs dans ma jeunesse, je préfère aider des gens avec des projets concrets que ces spéculateurs qui ne croient qu’en l’argent facile.