“Ça compile, ça marche. Tester, c’est douter. Douter, c’est pour les faibles.” Régis a affiché un poster dans son bureau Son visage en noir et blanc d’un côté et ce slogan écrit en blanc sur fond rouge représentent selon lui la quintessence du développeur. La ressemblance avec le personnage de Big Brother dans le roman 1984 est volontaire. Régis veut marquer son autorité sur son équipe de développeurs.
D’ailleurs, en sa présence dans le bureau, il est possible d’entendre les mouches voler, ou plutôt les touches de clavier s’enfoncer. Heureusement, le leader suprême sort régulièrement du bureau. Les besoins du service l’envoient souvent rencontrer d’autres responsables de la boîte. Les autres développeurs ne se détendent pas pour autant. Ils savent que son bras droit rapportera toute conversation déviante.
Alors, ils se contentent d’implémenter les nouveaux besoins attendus pour le logiciel ou de traiter les nombreux rapports d’erreurs qui reviennent du service de Validation. Il faut dire que la maxime de leur chef est une catastrophe. Sous prétexte de livrer des programmes plus rapidement, elle provoque de nombreux problèmes. Certes Régis produit plus de composants logiciels que ses collègues, mais à quel prix.
C’est sa grande productivité qui a permis à Régis de se hisser à ce poste. Grâce à lui, les applications sont déployées dans les temps. En contrepartie, ces collègues se retrouvent assaillis de demandes de corrections. Notre chef ne revient jamais sur ce qui a été réalisé. C’est une perte de temps “Si un programme ne convient pas, c’est que le besoin est mal exprimé.”, dit-il.
Reconnaître une erreur est une preuve de faiblesse pour le chef. Et lui, n’est pas un faible. Alors l’application utilisée est devenue une catastrophe à maintenir. La moindre évolution devient un cauchemar à implémenter. Les propositions du supérieur ont de plus en plus de mal à être réalisées. Il faut dire que même lui ne se retrouve plus dans ce fatras de programmes, d’includes et de code mal documenté et mal indenté.
Alors, afin de se sortir de cette situation, il propose à ses responsables un changement de technologie. D’ailleurs, il a déjà réalisé des audits avec des prestataires extérieurs. Bien sûr, il n’a pas partagé cela avec ses collègues qu’il tient pour responsable des difficultés récentes auprès des décideurs. C’est pourtant les développeurs maintiennent cet applicatif rendu bordélique par le chef.
Lors des pauses, loin des oreilles du chef et de son fayot, les 3 développeurs évoquent l’envie de quitter ce service. Ils ont récemment appris le dernier projet de leur chef et ont discuté avec d’autres chefs de service. Le nouveau projet devant être réalisé par une ESN, leurs activités diminueront malgré les promesses de leur chef de les amener vers le nouveau système.
En accord avec la direction des ressources humaines, deux développeurs ont signé leur changement de service. Régis s’en moque, son bras droit et le restant peuvent réaliser les activités de maintenance pendant qu’il supervise la montée en charge du nouveau système.
Dernier jour de service, les 2 développeurs ont eu l’autorisation de marquer leur changement de service et d’organiser un pot à la fin de la journée avec des collègues d’autres services. Le chef sait se montrer généreux. Le troisième annonce dans la foulée sa démission. Il a trouvé un poste dans une autre entreprise. Régis, agréable, lui dit qu’il ne sait pas ce qu’il perd. “De toute façon, nul n’est irremplaçable.”, ajoute-il.
Le chef improvise un discours où il rappelle ces moments d’équipes heureux avec les successions de projets réussis. Tout le monde applaudit poliment. Le leader se doit d’écourter sa présence dans cet entre-temps, des affaires urgentes l’attendent. Une impression de fin d’année scolaire semble régner dans le bureau. Au moment de nettoyer les restes de la fête, le mouchard improvise une sortie.
Les 3 collègues se retrouvent pour une dernière fois à devoir nettoyer derrière celui qui est désormais leur ancien chef. Pour une fois qu’ils sont responsables du désordre, cela change. Un feutre noir est tombé sous tableau blanc. L’histoire ne dit pas qui, ce jour-là, a inscrit sur le poster du chef “Régis est un con !!!”.