Coupe le fil rouge

Je ne sais pas à quel moment cela a dérapé dans ma vie. Gamin, j’aimais démonter les objets, moins les remonter. Mes parents ne m’ont pas encouragé dans cette voie. Les études ne m’ont pas poursuivi, et c’était réciproque. Alors devenu adulte, avec un CAP horlogerie, après n’avoir trouvé aucun emploi dans ma branche, je me suis vu Genius dans une boutique Apple.

J’étais confiant en ma candidature, mais mon profil ne semblait pas leur convenir. Il faut connaître parfaitement leurs produits et 800 € minimum pour un téléphone lorsqu’on n’a pas encore travaillé, c’est un luxe. Les tutoriels sur Internet m’avaient enseigné la théorie de la pomme, mais mon physique ne faisait pas assez Genius pour eux.

Voila comment j’ai échoué dans un stand “Save”. Vous ne connaissez peut être pas. “Save” est une société qui propose des stands dans des centres commerciaux. Nous réalisons les réparations simples sur vos smartphones : batterie, écrans, haut-parleurs, … Nous remplaçons tout ce qui peut l’être sur votre smartphone à un prix correct. Et nous vous vendons des coques en prime.

En apparence, réparer un smartphone est accessible à tout le monde. Le site IFixIt propose tutoriels et pièces pour cela. De même, les vidéos sur Youtube détaillent chaque étape de l’opération. En pratique, intervenir sur un équipement à 400 € et plus dont la moindre vis fait moins de ½ mm, relève plus de l’horlogerie. Parfait pour moi.

En général, vous venez nous voir parce que votre smartphone a découvert la gravité, et le sol en béton qui l’a arrêté. Pas de chance mais il faut bien réparer l’écran. Carglass n’a pas encore créé de résine pour ce type d’équipement. Heureusement pour vous, nous vendons des écrans neufs et nous faisons le montage. Les “Feu Vert” des smartphones.

Un autre type de réparation est la batterie. Comme pour les voitures, leur durée de vie est de 4 ans. La différence, c’est que personne ou presque ne garde son smartphone 4 ans, sauf lorsqu’on l’a payé plus de 800 €.

Le truc génial, c’est que, comme vous voulez de smartphone toujours plus mince, la batterie qui se changeait en 10 secondes sur un Nokia 3310 est devenue quasi inaccessible sur les derniers téléphones. Il faut démonter des vis à formes étranges, séparer l’écran de la carte mère avant de pouvoir accéder à la batterie.

Alors lorsque Apple vous la remplace, ils prennent 49 €, il faut savoir que le technicien mettra 10 minutes, pause café comprise, à démonter et remplacer une batterie que vous pouvez acheter 8 €. Nous le faisons au même tarif, il faut bien payer nos salaires. S’ils ont baissé leurs prix c’est parce que nous les dérangeons.

Alors à quel moment cela a dérapé ? Je ne vais pas dire qu’Apple pousse à la consommation en faisant en sorte que vous craquiez sur le dernier modèle lorsque l’ancien, au top 2 ans avant, peine avec une autonomie anémique. Je ne pense pas qu’ils veuillent décourager les réparations en collant la batterie au châssis. Je ne pense pas que les polémiques sur les téléphones qui explosent rassurent à ce genre de réparation.

Ce dernier point mérite une explication. Les batteries de vos smartphones sont dites lithium-ion. Une technologie efficace mais qui présente un risque : l’emballement thermique. En gros, si votre batterie chauffe trop parce que le smartphone la sollicite trop, alors, elle peut exploser. Le risque est le même si la batterie est pliée. La mise en contact des électrolytes provoquera le même phénomène physique.

Le dérapage a eu lieu au moment où j’ai voulu retirer la batterie. La bande collante, trop sèche, s’est déchirée gardant la batterie solidement accrochée au châssis. J’ai essayé de la retirer de force, mais comme Apple utilise des batteries souples, elle a commencé à se plier. Ils auraient pu la protéger dans un cadre rigide mais cela nécessite de l’alourdir et donc l’iphone par extension.

J’ai donc essayé de rattraper un bout de colle avec une épingle et retirer à nouveau la bande de colle, mais non seulement celle-ci s’est à nouveau délitée mais en plus j’ai percé la protection de la batterie. Les étincelles ont été un avertissement qu’une prochaine tentative mettrait en avant mon stand dans le centre commerciale, avec intervention du pompier de service.

Il ne me reste qu’une solution. Vous connaissez l’astuce pour ouvrir une porte claquée : la radiographie. La même technique. Utiliser un papier suffisamment souple pour passer sous la batterie et suffisamment rigide pour arracher la colle. Et une partie de la protection de la batterie.

Et pendant ce temps, le client s’est ramené pour demander où en était son téléphone. Pourquoi faut-il que je tombe toujours sur les clients les plus énervés ? Comment lui expliquer qu’il me faudra au moins 30 minutes de plus pour remplacer sa batterie sans que son téléphone ne se transforme en torche et que je ne perde mes doigts ?

Finalement, j’aurais dû rentrer dans l’armée. Le métier de démineur m’apparaît comme moins stressant que mon job actuel. Au moins, on connaît les risques.

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J’ai de la chance !!!