La chaîne d’incompétence

On ne sait pas comment, ni pourquoi, mais on se retrouve dans des situations étranges. Manuel, un peintre en bâtiment, ami de José, s’est retrouvé engagé sur un chantier de construction du nouveau siège du Conseil Départemental. Jusque là, sa vision de l’administration française était limitée aux clichés sur les fonctionnaires et à l’épreuve de ‘la maison qui rend fou’ dans les 12 travaux d’Astérix. Des caricatures tout au plus.

La tâche de Manuel est de peindre l’intérieur de l’aile 38. Pourquoi ‘38’ alors qu’il n’y a que 2 ailes ? La logique des noms dépassent souvent la compréhension de simples ouvriers. Seul un grand chef doit connaître la raison d’un tel nom. Mais cela n’a pas d’importance. Manuel arrive à 8h00 sur le chantier avec son patron. Ils préparent le matériel. La peinture doit être amenée par un autre prestataire.

Le président du Conseil souhaite un immeuble à l’image du département : moderne, écologique, performant, efficace. Pour cela, il a engagé un de ses amis architecte pour superviser toute la construction. Ce dernier s’entoure de collègues et délègue les opérations de niveaux inférieurs. Ainsi, un architecte s’occupe de tout ce qui est gaines et locaux techniques, un autre de l’harmonie visuelle (HV), …

Une telle organisation ne peut aboutir qu’à la réussite du projet.

Le président du Conseil est très satisfait de la proposition de son ami. Il hésite sur les choix des coloris mais valide le premier projet. L’extérieur restera comme prévu. L’acier, le verre et le bois se mélangent audacieusement. Par contre, l’intérieur nécessite encore quelques réflexions. S’il a validé le projet de l’architecte HV, il hésite encore sur la décoration intérieure.

Ainsi, l’architecte HV a décidé différentes nuances de vert pomme, moutarde, gris industrielle, … pour le bâtiment A38. En accord avec le cabinet comptable rattaché au Conseil Départemental, il a fait acheter et livrer les pots de peinture à Manuel et à son patron et a fait noter pour chaque mur les couleurs à appliquer

Manuel commence à peindre, mais quelque chose le dérange. Le ‘saumon’ et la ‘moutarde’ se marient mal dans la pièce qu’il repeint. Il prévient son patron qui averti l’architecte HV. Ce dernier, furieux d’être dérangé pour un telle futilité remballe l’artisan peintre. “Le plan est correct et les pots livrés aussi. Ce n’est pas un peintre qui va lui apprendre son métier.”. Manuel se fait sermonner par son patron pour l’avoir mal conseillé.

La consigne est la consigne, et Manuel continue son travail. Chaque jour, il applique les consignes même s’il trouve le résultat étrange. Un jour, il constate que la peinture livrée n’est pas de la même qualité que les jours précédents. Il sait qu’avec ce type de peinture, il faudrait passer plusieurs couches pour un résultat correct mais les quantités livrées ne permettent qu’une couche. Il le fait constater par son patron qui remonte l’information à l’architecte HV.

Ce dernier, pédagogue, leur répond que les commandes sont passées par l’entité comptable du chantier, supervisée par l’agent comptable du Conseil Départemental. Les contrats passés auprès des fournisseurs sont précis et les peintures livrées correspondent en tout point au cahier des charges. Manuel et son patron ont donc les bons outils au bon endroit. Il est inutile de chercher la petite bête. Les artisans peintres continuent donc leur travail.

Les travaux avancent bien, et le président se dit qu’il pourrait évaluer l’avancée des travaux de son futur siège. En rentrant dans le bâtiment A38, il semble figé. Son ami l’architecte aussi. “Ces couleurs sont ridicules. Qui est l’imbécile qui a fait cela ?” L’architecte maître convoque son collègue pour plus d’explications. Ce dernier renvoie la faute sur les peintres qui visiblement n’ont pas respecté ses consignes. “On va les changer” conclut sobrement l’architecte HV.

La hiérarchie présente ici est toxique. Plus il y a d’intermédiaires et plus il y a de risque de tomber sur des gens néfastes, incompétents et lâches. Et vu tous les intermédiaires présents dans l’affaire, on peut se douter que le futur siège risque de coûter plus cher que prévu dans le budget initial. Cette histoire n’est évidemment qu’une fiction, mais des situations similaires, on en retrouve dans tous les domaines.

La chaîne des responsabilités s’applique dans la réussite mais jamais dans l’échec. À ce moment là c’est chacun pour soi. Le Président ne demandera jamais aux artisans si ce que raconte l’architecte HV ou l’agent comptable est vrai. Ce n’est qu’un détail au final. La réussite d’un chantier est une somme de détails. Comprendre et maîtriser cela, c’est ce qui distingue la réussite de l’échec.

Partager l'article !!

J’ai de la chance !!!