Le mur

Je vous parle d’un temps que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître. Et donc, je ne le connais pas. Mais imaginez le prix d’un ordinateur dans les années 60. Seules les institutions et les grandes sociétés pouvaient se l’offrir. Autant dire qu’à ce tarif là, l’ingénieur capable de le programmer était fourni avec.

Nous distinguons deux ressources informatiques. Les ressources matérielles (hardware) et les ressources logicielles (software). Autant dire qu’à l’origine, le coût du matériel était tel que le logiciel était inclu dans le prix. L’ingénieur, et tous les programmes qu’il concevait, n’était qu’une faible partie du coût du système. Dit autrement, le logiciel était offert. Quel intérêt alors de protéger une marchandise sans ‘valeur’ ?

Dans ces conditions, les ingénieurs logiciels partageaient leurs connaissances entre eux. Ainsi, ils amélioraient leur programmes et tiraient le meilleur du précieux matériel. De plus, en étant à l’écart des décisions stratégiques des entreprises et marqués par la logique universitaire du partage du savoir, ils considéraient que les algorithmes étaient des idées qui méritaient ce partage. 

Une telle candeur, un tel angélisme, donnerait au moindre commercial de la World Company des envies de meurtre. Imaginez un auteur donnant ses oeuvres à la postérité. Pire, formant ses propres concurrents. Pourtant, c’est bien cette logique, informatique, qui a permis au domaine de progresser aussi vite. Les interfaces proposées par les Steve(s) pour leurs ordinateurs à la pomme s’inspiraient des recherches de Xerox. 

Mais l’arrivée de l’informatique personnelle à la fin des années 70 allait changer la donne. Le prix du matériel diminuait et les ordinateurs devenaient accessibles aux masses. Le coût pour développer des logiciels prenait une part importante. Les développeurs se regroupaient en sociétés pour vendre leurs créations. Il fallait donc protéger leur travail. 

La porte du monde juridique s’ouvre. Pour s’assurer que les programmes permettent aux entreprises de vivre correctement, elles imposent à leurs clients la signature d’un contrat pour l’utilisation de leurs logiciels. Ce fameux contrat de licence de l’utilisateur final (CLUF ou EULA en anglais) que vous ne lisez jamais lorsque vous installez un logiciel. Un contrat n’arrête pas les anciens informaticiens (hackers) qui veulent copier et étudier ces logiciels. 

Comme la guerre à l’origine des virus, développeurs professionnels et hackers s’affrontent pour protéger ou libérer les logiciels. Les premiers mettent en place des systèmes de protections comme des codes ou des contrôles de certificats sur des serveurs distants. Les hackers contournent ces protections pour diffuser ces logiciels ou permettre leur amélioration. 

En parallèle de ces affrontements, les libristes développent des logiciels libres de droits. Ainsi, il existe toujours des alternatives gratuites aux logiciels les plus utilisés. Je vous conseille de faire un tour sur le site Framasoft qui recense ces logiciels libres. 

Les développeurs professionnels s’inspirent alors de ces solutions libres pour améliorer leurs logiciels payants. Pour protéger leurs créations et éviter que leur travail soit pillé et breveté par les entreprises privées, les libristes aussi se rapprochent de la justice en définissant leurs propres règles d’utilisation de leurs créations. GNU/GPL, FreeBSD, Apache sont des licences logicielles axées sur le partage.

Aujourd’hui, l’équilibre dans le prix d’un ordinateur entre le hardware et le software dépend du domaine dans lequel est utilisé l’informatique. Pour le grand public, le coût du hardware est tiré vers le bas grâce aux volumes de production. Pour le software, Windows semble gratuit car intégré dans le prix de votre ordinateur. Même si la suite bureautique Office est payante, la plupart des logiciels utilisés existent en version gratuite.

Dans le cadre professionnel, la question est différente. Prenons le cas des Clouds. Les serveurs qui tournent dans ces centres sont très chers et très nombreux. Par contre, les logiciels utilisés sont issus du monde libre, donc quasi gratuits. Investir dans des développeurs pour optimiser la vente de services n’est pas un problème.

Prenons le cas contraire, celui de l’aéronautique. Cela fait longtemps que les pilotes sont aidés par des logiciels pour décoller et atterrir. Ils nécessitent un effort de développement très important. Les logiciels ‘temps réels’ ne doivent souffrir d’aucune défaillance. Ce sont par centaines, sur plusieurs années, que des ingénieurs se sont succédés pour s’assurer que le manche à balai de l’A380 ne présente aucun défaut. Le coût matériel, bien que non négligeable, reste faible par rapport aux investissements logiciels. 

Dans ces conditions et pour être rentables, les logiciels sont entourés de brevets et autres licences inviolables. L’argent a permis d’élargir le monde du développement informatique. Et comme dans les bonnes séries américaines, c’était pour le meilleur et pour le pire. À suivre …

Partager l'article !!

J’ai de la chance !!!