J’ai promis de ne pas faire un plan chronologique. Mais la genèse du jeu vidéo mérite bien un article à part. Nous ne sommes pas encore dans l’histoire connue. Si les jeux vidéo sont distingués en 9 générations, la préhistoire se situe avant. D’ailleurs, suivant notre date de naissance, nous considérons les premières générations de console comme de la préhistoire tant le fossé est large avec ce que nous avons toujours connu.
Si on parle de préhistoire du jeu vidéo pour tout ce qui se situe avant 1972, c’est parce qu’avant cette date, les jeux n’étaient pas disponibles pour le grand public. À moins de travailler pour une grande société spécialisée dans l’informatique ou, plus tard, être étudiant dans une grande université scientifique américaine, le développement informatique n’était pas présent … alors les jeux vidéo, n’en parlons pas.
À cette époque, l’informatique était un domaine sérieux. Et il faut des esprits libres et référents comme Alan Turing pour porter ce type de projet. Les entreprises et les États qui soutiennent le développement informatique vont trouver des intérêts dans ces jeux. La première utilisation des jeux vidéo est une sorte de faire valoir.
L’informatique est un domaine ennuyeux. Des composants électroniques, des formules mathématiques, les gens ne s’y intéressent pas. Alors pour justifier des dépenses énormes dans ces domaines, il faut montrer quelque chose de compréhensible pour le grand public. Le premier ‘jeu’ vidéo est un simple morpion. Il fait la promotion des ancêtres des transistors.
Le joueur affronte un ordinateur pour remplir les 9 cases. Différentes stratégies sont implémentées dans de jeu de 3 cases par 3. L’ersatz d’intelligence artificielle (IA) est présent et ce n’est pas un turc mécanique. Le jeu vidéo est un faire-valoir des technologies. Le premier jeu de dames et le premier jeu d’échecs suivent rapidement, toujours pour présenter les capacités du matériel.
Jouer contre l’ordinateur, c’est bien. Affronter un adversaire humain, c’est mieux. Et ‘Tennis for Two’ en 1958 a connu le succès, auprès des quelques personnes présentes sur le stand. Le jeu reste cependant rudimentaire même si apparaît la première manette : un rectangle avec un potentiomètre et un bouton. Ce jeu a aussi été l’occasion du premier ‘rage quit’, l’action de quitter la partie alors que le jeu n’est pas terminé.
Une deuxième utilisation du jeu est de faciliter l’apprentissage de la programmation. La récompense de l’étudiant est la possibilité de jouer avec son travail. Le jeu du ‘plus ou moins’ permet de comprendre les notions de boucles et de tests. De petits jeux sont créés dans ce but. L’arrivée d’un ordinateur ‘puissant’ au MIT va permettre aux étudiants de plancher sur un jeu plus complexe.
Spacewar! est l’ancêtre des jeux de tir et il faut dire que les idées ne manquent pas. La bataille spatiale autour d’une étoile entre 2 joueurs se base sur la littérature de science-fiction de l’époque. Le jeu se veut réaliste avec la prise en compte de la gravité et la représentation d’une voûte stellaire en fond d’écran. De nombreux étudiants participent à ce travail.
Spacewar! est surtout utilisé pour montrer les capacités techniques des ordinateurs acquis par quelques grandes entreprises. Il se diffuse aussi dans les universités américaines pour l’apprentissage du codage. Et la version Asteroids va signer plus tard l’un des premiers succès en arcade.
Un autre jeu va influencer nos universitaires. Hamurabi est le premier jeu de gestion. Et bien que n’affichant que des caractères, il sera souvent repris. C’est donc dans la préhistoire que l’on retrouve l’ancêtre de tout jeu de gestion. Des ingénieurs utilisent le jeu pour montrer les capacités de leur matériel … et aussi s’amuser. Des universitaires reproduisent pour apprendre à programmer.
Jusqu’en 1972, les jeux vidéo n’ont donc aucun intérêt pour le grand public. Trop cher, trop complexe à mettre en œuvre, réservé à une élite intellectuelle et financière, l’objectif ludique passe en dernier. Il faut attendre la borne d’arcade Pong et la console Odyssey pour que le grand public ait accès à cette distraction. Mais çà c’est une autre histoire.