Pourquoi ai-je accepté ce rôle ? Ce n’est pas facile de percer dans le milieu du cinéma, surtout lorsqu’on vous compare à vos prestigieux aînés. Mais j’aurais dû sentir le coup. Dès le départ, j’ai trouvé le réalisateur étrange. Trans Fishers qu’il s’appelle. Il me tend le scénario. Enfin, c’est plus une notice vu la taille.
Il m’a dit de ne pas m’inquiéter. L’histoire est la suivante. Les serviteurs d’un comte dérangent les habitants d’un village. Je dois aller le voir pour lui demander de calmer ses mignons. Les 6 scènes se passent dans le manoir du comte. Je dois improviser à chaque fois. Le réalisateur me confie un fouet et des bouteilles “d’eau bénite”.
Il m’a dit que je comprendrai. Et que pour le reste, il me suivra de loin avec les caméras et l’équipe technique. Alors improvisons. La demeure a l’air lugubre. Rien que la grille, c’est un coup à attraper le tétanos. En avançant dans la cour, je bouscule un brasero qui se transforme en un crucifix. Je ramasse l’objet et m’avance vers la porte principale.
Un grincement sinistre se fait entendre. J’entre. C’est grand et mal entretenu. Les chandeliers diffusent une lumière vacillante et font apparaître des murs lépreux et des rideaux déchirés. Soudain, un type me fonce dessus en poussant des râles. En panique, je lui jette le crucifix. Celui-ci le traverse avant de revenir dans mes mains.
Niveau effet spéciaux, chapeau ! Le serviteur s’est évaporé. J’avance dans le bâtiment, mais je ne rencontre que des chauve-souris, d’autres “zombies” et des chiens agressifs. Je repousse ces insolents à coups de fouet. Quel plan foireux ! Je monte les escaliers marche par marche pour me donner une allure.
Alors que j’arrive dans une salle, une grosse chauve-souris m’agresse. Elle me nargue en l’air. Je ne peux l’atteindre sauf lorsqu’elle fonce sur moi. J’empoigne une hache et la lui jette dessus. Elle disparaît dans un effet pyrotechnique et ne reste qu’une mystérieuse orbe rouge. La hache a aussi détruit un bout du décors.
Au loin, le metteur en scène hurle des ordres. Je comprends que la première scène est terminée. Mais le réalisateur me fait de grands signes pour m’indiquer de continuer. Je ne vais pas juger un film à sa première scène et puis il faut bien débuter.
Je passe la porte et atterris au pied d’une tour. Je suppose qu’il va falloir atteindre le sommet tout en étant harcelé par des sbires en carton pâte. Le long de mon ascension des têtes de méduses aux trajectoires improbables me harcèlent. Et encore des escaliers. Au bout d’un moment, j’arrive dans une salle avec le buste de Barbara Shelley.
“Barber Sherry, sa version Wish.” me souffle discrètement un technicien derrière le décor. À ce moment-là, la tête est vaporisée et remplacée par une tête de gorgone. Plus agressive que les méduses rencontrées précédemment, je m’en défait à coups de fouet. J’entends au loin un ”Coupez !”.
Un bout de mur se détachant, je trouve une côte de porc dans une assiette. Le plat me semble propre. Je suppose laissé par le technicien pour que je me restaure. Je veux prendre une gorgée d’eau bénite mais je me ravise à son odeur. Heureusement que j’avais rempli une gourde au village.
Le tournage continue. À chaque scène, je croise la version Eco+ des monstres du cinéma des années 30. Je tabasse 2 momies avant de tomber dans les égouts du château. Puis je suis accueilli par un Frankenstein et un bossu hystérique. Enfin, un type avec une faux m’attend au tournant.
Dernière scène, la musique se fait plus dramatique. Le comte se trouve en haut de la tour de l’horloge. Je gravis les escaliers. Arrivant au sommet, le propriétaire m’attend sur son trône. Il a un accent à couper au couteau. Ils ont dû recruter un tocard du coin pour jouer l’antagoniste.
Alors qu’il me raconte sa vie, il apparaît et disparaît avec des effets spéciaux très impressionnants. Je lui fait remarquer qu’il faut être stupide pour installer la salle du trône au bout de son manoir. Vexé, il se met à me jeter des boules rouges. Je réplique en lui envoyant mes bouteilles.
J’aurais mieux fait de lire le scénario. Ce n’était pas de l’eau mais de l’essence. Le cocktail s’embrasse au contact d’un chandelier. Le comte hurle des insultes alors que son costume s’enflamme. Courant dans tous les sens, il propage le feu au reste du décor en carton pâte. J’ai à peine le temps de fuir les lieux.
Sortant du domaine, j’entends les figurants et l’équipe technique courir partout, affolés par l’incendie. L’immense demeure s’effondre. Heureusement que l’on est au milieu des Carpates. Sinon, on en aurait entendu parler d’un incident pareil. Simon, me dis-je, il est temps de changer de carrière.