Dans les bureaux, on l’appelle le noble. Comme son cousin gazeux, Fred interagit peu, voire pas du tout, avec ses collègues. Cela ne l’empêche pas de s’étaler dans la pièce. Une veste posée sur une chaise, un clavier en équilibre en haut d’une armoire, des brouillons éparpillés rédigés dans une écriture cryptique … on sent la présence du maître.
Fred se considère comme l’élite. Alors ses responsables passent son comportement excentrique. Il est vrai que le génie incompris a permis d’engager la transition vers de nouvelles technologies. Sa philosophie est à l’opposé du minimaliste. Ici, le progrès doit primer avant tout.
Les machines sont de plus en plus puissantes, avec toujours plus de mémoire. Alors pourquoi chercher à grappiller des instructions ? Fred ne désalloue jamais les objets à la fin de leur utilisation. Ce détail ne l’émeut guère. Et puis, il y a les garbage collectors. Alors profitons de cette aisance.
S’il existe bien des mécanismes censés récupérer l’espace inutilisé par un programme, ce n’est pas instantané. Et lorsque le service conçu est utilisé en temps réel par des milliers d’utilisateurs, les services développés par Fred deviennent problématiques. Un serveur qui manque temporairement de mémoire provoque des incidents aléatoires.
Le maximaliste ne s’inquiète pas de son environnement. Ils n’ont qu’à rajouter de la RAM. Lui ce qu’il veut c’est tester toutes les nouveautés. Une nouvelle version de sa base de données de prédilection … Il l’installe sur son poste de développement. Une nouvelle version du framework sur lequel il travaille … idem.
Grâce aux fichiers de configuration, il est facile d’utiliser telle ou telle version d’un composant. Alors de peur de manquer une nouveauté (FOMO), Fred installe sans se préoccuper de l’espace sur son stockage. Il est difficile pour ces collègues de suivre le génie. Ils ne sont pas dans sa tête.
Dernière lubie du maître, les intelligences artificielles (IA). Avec cela, il est possible de tout faire. Cela me rappelle les publicités sur les produits informatiques des années 90. On pouvait tout faire avec. Fred se dit qu’une IA est la meilleure solution pour répondre aux demandes des utilisateurs.
L’informatique est faite pour automatiser l’information, alors elle peut très bien répondre aux collègues et aux utilisateurs des services de notre noble. Le brillant projet enthousiasme la hiérarchie et Fred se lance sur son projet au détriment des autres chantiers qu’il abandonne à ses collègues.
Le défi est à la hauteur. Je passe les différentes étapes mais notre héros achève son projet. Et il ne faut pas moins du dernier Intel, accompagné de 64 Go de mémoire vive et de 2 cartes graphiques dernières génération pour que l’IA puisse répondre aux interrogations d’une poignée d’utilisateurs.
Avant, pour obtenir l’information, on regarde dans des foires aux questions ou des tutoriels. Pour des usages plus directs avec les clients, des chatbots renvoient vers la bonne réponse. Les coûts matériels et énergétiques sont très faibles.
Notre maximaliste offre une solution coûteuse et non contrôlable par l’entreprise. En effet, même le concepteur ne sait pas réellement comment sont calculées les réponses de l’IA. Mais la démo et le terme ‘nouvelle technologie’ convainc les responsables avides de nouveauté. Le client, lui, ne verra pas la différence.
Les Ops vont s’arracher les cheveux pour fournir l’infrastructure adéquate. Mais Fred n’en a cure. Le service est là. D’ici là, le matériel aura évolué et le même service verra ses coûts diminuer … ou pas. Et puis, les réponses hasardeuses et les problèmes d’hallucinations de l’IA, ses collègues amélioreront la base de connaissance et le prompt.
Le maximaliste tue les mouches avec des canons. C’est très efficace sauf pour les voisins.