Nul n’est irremplaçable dans une entreprise. Un directeur s’en va, un autre prend sa place. Quelques mois auparavant, le directeur des systèmes d’information (DSI) du groupe a pris sa retraite. Il fallait espérer que son successeur ait, même partiellement, ses qualités d’écoute et de conciliation. Rapprocher l’informatique de ses utilisateurs n’est pas toujours aisé.
Les premiers contacts ne furent pas les meilleurs. Le service Achats en a été le premier à s’en apercevoir. Si le nouveau a une réputation de cost killer, l’une de ses premières interventions ne fut pas dans la réduction. Il se plaignit de ne pas avoir le dernier téléphone de la pomme. La rumeur tournait dans les services. Les économies se répartiraient autrement.
Et la rumeur se confirma lors de la rencontre sur les différents sites. Le nouveau responsable de la DSI exposa fièrement son jouet tout en rendant visite à chaque service. La rencontre n’était pas vécue de la même manière par les collaborateurs et les responsables. Pour ces derniers, le responsable était un être avisé et à l’écoute.
Pour les collaborateurs, la vision était moins enthousiaste. Le nouveau chef ne respectait ni horaires, ni ordre de visite. Obligeant les employés à quitter leurs activités pour attendre son altesse. Il se présentait en retard, parlait peu, et partait en avance. Il faut dire que son pot d’accueil avait commencé à l’heure. Alors pourquoi comprendre l’activité des services de sa direction ? Il sait déjà …
Passé la sauterie, le responsable assista à la présentation des axes d’évolutions du système d’information pour les années à venir. Le terme est galvaudé. Avachi dans un canapé, il consultait surtout son téléphone haut de gamme. Le discours, il l’avait suffisamment entendu pour s’y intéresser une fois de plus. Il disparut alors une heure laissant seul ses collaborateurs … avant de revenir pour une intervention finale marquante.
“L’avenir de l’informatique, c’est l’intelligence artificielle. C’est à vous de proposer les usages.”. Les collaborateurs s’interrogaient sur la conduite à tenir. Quels budgets sont attribués aux prototypes ? Quelles limites sont liées aux expérimentations ? Le discours était flou et avant toute question, le responsable précisa de voir avec son bras droit … puis disparut sans saluer personne.
Aucun site n’était épargné par le comportement vaporeux du nouveau responsable de la DSI. La caricature prit forme. Seuls les hauts cadres en disaient du bien : un homme de méthode, travailleur et exigeant. Peut-être. Mais sa méconnaissance d’un domaine complexe laissait pourtant une image bien différente dans l’esprit des professionnels du domaine.
Comment casser cette image ? La communication propose bien des outils pour cela. La vidéo-conférence s’impose. Dans un cadre familier, avec un discours préparé, il tiendra un discours efficace, pertinent et convaincant. Pourtant, dans une position fermée, le responsable s’enlise dans les caricatures en dépeignant l’IA comme sexiste et raciste. L’élément de langage ‘biais de données’ sort tardivement et sans conviction. Ce ne sera pas le discours d’un roi.
Les communicants n’ont pas dit leur dernier mot. L’assemblée générale de l’entreprise se tient prochainement. Avec une bonne préparation, le chef de la DSI va apparaître comme un capitaine avisé et sûr, même au milieu de la tempête. Tout est calibré pour cela, s’il prend conscience de ses biais.
Je ne vais pas faire durer le suspense. Malgré une organisation impeccable, les interventions du chef ne font pas mouche. Première incartade, le code vestimentaire, un maillot de sportif. Tout le monde dans l’assemblée remarque l’urgence du choix. Le barbecue n’étant pas une épreuve des jeux olympiques, sa tenue dénote à côté de ses collègues d’autres directions.
Le discours et la posture relèveront-ils le niveau ? Pour la posture, la position voûtée n’est pas la meilleure pour captiver son audience, sauf si on veut faire des raffarinades. Consulter son téléphone quand ses collègues exposent l’avenir de la boîte non plus.
Et le discours ? Il est devenu sujet de moquerie même parmi les externes de l’entreprise. Le DSI annonce que ses subordonnés font de l’informatique. Mais pas trop quand même. Que doivent entendre les informaticiens du groupe ? Qu’ils ne font pas leur travail ? Le chef perçoit-il que le métier d’informaticien ne se limite pas au seul code ?
Alors que l’événement se termine, il se permet de montrer son absence de lien avec ses employés. Les équipes de communications ont pourtant prévu une dernière animation pour laisser une bonne image des hauts cadres. L’ensemble des collaborateurs passent devant eux avant de s’installer pour la photo finale. Le responsable saisira-t-il la balle au bond pour enfin faire une bonne impression ?
Tourné vers son téléphone. Dos à ses collaborateurs qui défilent, il semble occupé par le vide. Les proches collaborateurs diront qu’il s’inquiète de l’activité des services fournis aux clients. Qui peut y croire ?
Quelle image retenir de ce personnage ? Un gaffeur. Pas à ce niveau. Un incompétent. Je ne pense pas. Seul le mépris ressort. Aucun artifice de communicant ne donnera une image positive. Et il est censé représenter l’avenir. Il est dommage que les directeurs ne soient pas élus.
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Je reviens sur mon jugement. Ce que j’ai interprété comme du mépris peut se voir comme de la maladresse. Certes, après avoir échangé avec lui, je n’ai pas trouvé une bonne compréhension du domaine. Mais sa méthode peut produire des effets positifs. A suivre …