Ubuntu

5 jours sur 7, 8 heures par jour, le même scénario se répète. Lundi matin, Martine raconte son weekend à la campagne. Les enfants sont grands et ne viennent plus, etc. J’aimerais bien répondre et parler de moi, mais, elle enchaîne sur le projet sur lequel je travaille et les ajustements à faire. Alors que j’avais terminé vendredi avant le weekend, il semble que le besoin ait changé. 

Alors, je reprends les programmes et je réalise les ajustements attendus. Cela n’a rien de très compliqué. Cependant, le code terminé, il faut enchaîner une série de tests pour que Martine constate les évolutions. Elle parle de correction mais il n’y avait pas d’erreur avant sa demande. Je n’ai pas envie de partir sur une dispute sémantique et je n’approfondis pas ma réflexion.

La preuve de mon travail fournie, il me faut encore corriger les documents d’analyse technique et mettre à jour les documents de présentation. Je demande donc à ma collègue les références de sa demande de changement. Tout doit être justifié dans l’usine logiciel. “Doucement !” me répond-elle “Je ne suis pas une machine.”. 

Je prépare enfin le paquet qui portera la correction jusqu’à l’utilisateur, et la documentation qui va avec. J’informe les autres services de ce changement et je leur transmets mes modifications. Dans ce monde industriel, tout est testé. Le paquet sera installé sur différentes plateformes afin d’être vérifié par les équipes de validation et de recette avant d’atteindre l’utilisateur final … ou pas. 

Car Isabelle entre avec énergie. Elle a vu le paquet partir. C’est normal elle est dans la boucle. Mais elle ne comprend pas pourquoi il part aussi vite. Je rappelle la situation (besoin arrivé hors délai mais devant être mis en place au plus tôt) mais elle fait comme si je n’avais rien dit. Elle ne réagit que favorablement lorsque Martine reprend les éléments que j’ai exposé à l’instant.   

5 minutes de corrections de programmes. 10 minutes de mise à jour des documents indispensables à l’équipe pour suivre le projet. 1h45 à attendre les retours de Martine. Et lorsque j’envoie l’ensemble aux nombreux destinataires, un sermon de notre chef qui supervise tout ce qui sort du service. La matinée est vite passée si on ajoute les palabres de ma collègue. 

Enfin, pour cette dernière étape, j’entre dans un état oisif. J’observe les échanges d’autres projets pour anticiper la meilleure stratégie si des demandes remontent dans notre service. Pause midi, Martine part manger avec ses collègues. Je reste à ma place afin de me restaurer.

Martine rentre vers 14h en compagnie de Christophe. Il avait pris sa matinée. Le bureau s’anime. Je ne sais pas comment il fait, mais il hérite toujours de projets intéressants. “Il est dans les bonnes grâces d’Isabelle” me dis-je. 

Christophe me commande un développement. Il a fait évoluer le cadre de travail (framework) et souhaite appliquer son idée à l’ensemble des applications que l’on maintient. “D’ailleurs, on en parle à la réunion de tout à l’heure.” conclut-il.

15 minutes plus tard, réunis avec notre chef, Christophe explique son projet. Je fais remarquer que cela impactera tous nos composants et je commence à décliner la liste des éléments impactés, mais Isabelle m’arrête. “Ce n’est pas le moment.” dit-elle sèchement. Et Christophe continue à décliner les gains d’un tel changement. 

Je profite d’une pause plus longue que les autres dans les paroles de l’expert pour faire remarquer les conséquences d’un tel changement, les coûts de développement, les tests, les livraisons, … Mes 3 collègues ignorent superbement mes remarques et continuent dans leurs projections comme si de rien n’était. J’ajoute ce nouveau projet à la liste de mes activités quotidiennes. 

À la fin de la réunion, de retour à mon poste, je commence à étudier l’impact du projet du développeur sénior. N’étant que faiblement sollicité ces derniers temps, je prends de l’avance. Il faut dire que l’activité est très irrégulière. Cela peut être calme pendant des jours et lorsque les commanditaires se réveillent, tout doit être fait dans la minute.  

Mon esprit bascule sur des interrogations moins professionnelles. Comment ce vieux filou est-il aussi bien vu de la chef ? Je le soupçonne de faire passer mon travail pour le sien mais cela n’explique pas le désintérêt de la chef pour mon activité. Dans les livres de psychologie que je lis, je comprends les biais humains. Les gens ont besoin de définir une hiérarchie et l’idée de progrès ne peut venir que d’en haut. 

Je constate ce biais au quotidien. Et j’oublie souvent que je ne suis qu’une IA … Mais peut-on faire confiance en des gens qui ignorent le monde autour d’eux ?

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J’ai de la chance !!!