Boris, développeur solitaire, a décidé de passer le cap. Fini les sites vitrines pour les petites entreprises locales, les demandes impossibles pour quelques centaines d’euros, … Le free-lance c’est la liberté. C’est surtout devoir expliquer à des gens, qui ne comprennent rien à l’informatique, pourquoi leurs demandes ne sont pas réalistes.
Certes, pour la première fois de sa vie, Boris a dû mettre un costume et passer un entretien d’embauche, mais il se dit qu’au sein de équipe d’informaticiens, il participera à de grands projets sur des technologies pointues. Cela le changera du site WordPress. Il va mettre en pratique les technologies qu’il manipule dans sa grotte.
L’accès à ce Graal ne se fait pas sans quelques concessions. Boris travaille pour un sous-traitant (pardon, une ESN) d’un grand groupe industriel. Mais cela en vallait la peine. L’architecture est au top. Les serveurs sont modernes, la virtualisation est omniprésente, les procédures de sécurité et les redondances sont nombreuses et efficaces.
Cela, Boris en en conscience rien qu’à l’accueil dans les locaux. Portail de sécurité, badge, … rien n’est laissé au hasard. Et c’est après quelques vérifications qu’il arrive enfin à son poste. Son responsable lui explique que cette semaine, il sera formé par ses collègues à son environnement de travail et acculturé au domaine client.
Ce qui étonne Boris dans la présentation de ses collègues, ce sont les étapes entre le développement du composant et la mise à disposition de l’utilisateur final. Si personne (ou presque) ne modifie en direct les logiciels manipulés par l’utilisateur final, il compte au moins 5 étapes intermédiaires : assemblage, intégration, validation, recette et pré-production.
Le DevOps n’est pas pris à la légère. Et les créations de Boris mettent en moyenne 6 mois entre la fin de la réalisation et l’application disponible aux utilisateurs finaux. Et même s’il ne participe pas à ces étapes intermédiaires, il se sent frustré de savoir ses utilisateurs dans l’attente.
Mais ce qui est le plus étonnant est l’environnement de développement. Lorsque Boris était seul, ses applications étaient stockées dans un répertoire sur un disque dur. Il réalisait une copie physique et une copie sur un service sur Internet de gestion des sources. Ici, c’est un autre service qui gère les sauvegardes. En cas de besoin, suivre la procédure.
Boris travaille désormais sur un composant d’un logiciel très complexe. Ce logiciel est découpé en centaines de composants qui peuvent interagir entre eux. Alors quand Boris implémente le besoin demandé par son responsable, il doit vérifier que les briques sur lesquelles s’appuient son composant n’ont pas évoluées.
Si c’est le cas, il doit vérifier le calendrier de déploiement de ces briques. Oui, tout ces changements sont annoncés lors du point matinal, mais Boris n’est pas du matin. Et les doubles maintenances ne sont pas les choses les plus agréables à faire. Multiplier les versions de son composant est facteur d’erreurs.
Pendant ses congés, le composant de Boris est repris par ses collègues. À son retour, il n’est pas rare qu’il retrouve des commentaires ‘TODO’ ou des variables mal nommées. Et bien sûr, le collègue fautif est parti en vacances sans laisser d’explications. Alors, il doit reprendre les demandes en consultants journaux et dossiers de spécifications.
Et oui, son composant est celui du client. Et Boris sait que les projets doivent avancer. Il n’est qu’un engrenage facilement remplaçable de l’immense machine. Alors, ces collègues font ce qu’ils peuvent.
Travailler sur un seul composant, même si l’environnement de développement est le plus complexe et le plus évolué sur lequel est intervenu Boris, çà n’a rien de plaisant. En discutant avec ses collègues, Boris découvre que cela fait plusieurs années que certains travaillent sur le même composant.
Ils ne s’en plaignent pas. La paie est très bonne et travailler pour un grand groupe, cela claque sur le CV. Même si le client les renvoie à cause d’une baisse d’activité du secteur ou parce qu’ils sont faibles, ils retrouveront facilement un emploi derrière. Boris se demande où est le plaisir dans une activité répétitive et sans autonomie réelle.
Ses anciens projets étaient plus simples mais au moins il touchait à tous les aspects du métier. ‘Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.’, ce proverbe, même s’il est vrai, s’applique mal en informatique. A trop simplifier un métier, même si la création finale est fantastique, ses bâtisseurs en perdent tout plaisir.
Mais qui se préoccupe de l’avis d’un patron devenu ouvrier.